Patrick Martineau
Photographer
projets 2023
Textes
PASCAL SZULC
Photographies
PATRICK MARTINEAU
Préface
FRANÇOIS LACHARME
(Président de l’Académie du Jazz )
PASCAL SZULC
Journaliste
Pascal Szulc, homme dont la chance a été de pouvoir écouter et vivre la musique jour après jour et de s’attacher sentimentalement à la littérature et la philosophie. Il interroge le « comment » et rarement le « pourquoi ». Ses déambulations et voyages dans la vie diurne comme nocturne sont propices à une écoute très personnelle des œuvres et du monde. Sa vie d’enseignant auprès des personnes en situation de handicap et ses chroniques journalistiques dans Toutelaculture.com consacrées au jazz constituent l’essentiel de sa démarche éclectique.
PATRICK MARTINEAU
Photographe
La photographie, c’est une passion de toujours pour Patrick Martineau. Ses prises de vue mettent en évidence des qualités personnelles qui lui ont ouvert bien des portes, un intérêt évident pour les autres, une façon de privilégier le facteur humain en toute circonstance. C’est ainsi qu’il faut comprendre son art des portraits, sa façon de privilégier le noir et blanc, une bichromie revendiquée qui l’autorise à jouer sur les niveaux de gris au moment de la prise de vue, accentuant ou minorant la température des blancs en fonction du sujet. Elle représente à l’évidence pour lui la couleur de la mémoire, de ce passé si prestigieux qu’il couvre encore de ses ombres immenses le jazz d’aujourd’hui.
Night birds
Gourmandise et appétence sont les mots. Ceux qui caractérisent la démarche de cet opus consacré aux jazzmen français. Aux anciens comme aux jeunes têtes dans cet univers de particules acoustiques et électriques. Du souffle créatif aux rivages rythmiques, de l’affluent romantique aux fleuves bop, de la rivière des standards à l’océan des conceptions modernes. Photographier l’instant, celui qui après la dernière note est toujours musique. Pénétration des vibrations et des performances particulières, collectives, humaines avec cette quête du dépassement, de l’intériorité au hors soi. La femme, l’homme, l’instrument des instruments.
Un livre conçu comme un objet, un bel objet éclairé de photos et de mots où si chacun a sa valeur propre, l’ensemble dessine une architecture réelle dans un décors littéraire aux confins de l’imagination, entre réel et surréalisme. Un bouquin de photos artistiques pour son homme des scènes reconnus par le métier, celui des musiciens. Un recueil de textes particuliers dont le standard est le noyau de chaque manifeste écrit par respect des traditions et de l’histoire, désir de transmission, amour du jazz et des acteurs qui l’ont fait naitre et vivre.
Deux amateurs. Entendez deux curieux, deux amoureux de l’art qui jouissent du temps en épicuriens, sensibles, parcourent les villes, les grands espaces comme les petits lieux, parfois les locaux privés de répétition ou d’enregistrement, attentifs à l’humain, ce qu’il donne et ressent, ce qu’il offre et respecte, ce qu’il lit et commente, interprète de la « feuille », la partition et ses mesures, ce qu’il entend, s’approprie, fugue, contre chante. Né avec le jazz, la photographie en noir et blanc, avec toutes ses déclinaisons de gris, donnent à entendre autant qu’à voir, immortalisent le bras du trompettiste paternaliste sur l’épaule du pianiste intimiste, introverti derrière ses lunettes, les rires à gorge déployée d’une fanfare afro américaine devant une maison délabrée du Mississipi, quand rien ne brûle. Sourire, concentration, écriture, jeu du corps, attitude, attente, subtilité de l’œil qui écoute, atteignant un sommet unique surgissant pour la première fois. La coloration est histoire de tempo, de pulsation, de timbre, de tonalité. Deux amateurs, Patrick Martineau le photographe, Pascal Szulc l’écrivain. Personnages eux-mêmes, familiers du portrait, de la nuit, de ses oiseaux — ces black birds — des bars, des salles, des scènes, aimant la vie et ses plaisirs.
Pourquoi photographier des musiciens de jazz ? Pour l’expression, celle d’un tout, comme une colère, un éclair à nul autre pareil, propre à l’évocation, ce rare présent. Pour ce noir lumineux, pour ces envols puissants de volatiles nocturnes déchirant le brouillard du ciel et l’écume des vagues, pour ces mélodies, ces louanges, ces poèmes reconstruits jour après jour, ces tonalités jaillissantes de vie, traditionnelles et rebelles, où le jeu quel que soit le thème est toujours une création, collective ou individuelle d’un « je ». Ici, le pianiste pose ses doigts sur le couvercle du piano, les yeux vers l’ailleurs, là le saxophoniste serre son cuivre comme une amante, le contrebassiste fait corps avec sa géante, le batteur pose sa tête sur un tom, le guitariste fusionne avec sa six cordes en guise de remerciements, la bandonéoniste apaise ses poumons musicaux. Des regards sans pose, des corps s’exprimant, des pensées comme des phylactères invisibles s’échappant des héros du timbre. Le son vit encore. La collection, chaque prise de vue traduit cette expression, non une impression et la photothèque de Patrick Martineau propose les vies. Car ce qui est propre à la musique, celle que nous aimons se nomme vie.
Cent. Cent portraits photographiques et littéraires. Point de biographies rugueuses, de fiches signalétiques. L’humain et son jeu, son plaisir et ses racines. Celles de la culture, cette familiarité, son imprégnation, ses mécanismes, sa création. Cent, comme cent standards, cent partitions. Un Real book, la bible des musiciens de jazz que l’on se repasse photocopiée sous le manteau et qui reprend les thèmes les plus joués depuis les origines jusqu’à aujourd’hui. Chacune et chacun ont été sollicités en leur demandant de choisir le standard qui les avait initiés, qu’ils aimaient jouer, avec lequel ils avaient une affinité particulière. Le voyage pouvait alors commencer. Une ballade-balade littéraire avec laquelle nous pouvions également jouer, improviser, créer. Si le jazz porte la photographie et vice versa, il participe également de la littérature. La littérature critique au premier chef, la littérature descriptive et objective dans les pochettes d’album mais également dans ce qui littéralement est lu, car le musicien est lecteur. Et, c’est de cette littérature-ci dont nous parlons dans ce livre. Ce qu’ils nous donnent à entendre, tant dans la musique que les textes des chansons. L’ère du temps, la profondeur des sentiments ou leur légèreté, le romantisme ou le constat de réalité, la poésie, la psalmodie, la rébellion, l’épistolaire, la méditation, une prise de contact. Là existe un champ des possibles passionnant qui s’inscrit dans les différentes époques, les migrations, les continents, les luttes sociales, les addictions voire les maladie et les handicaps. Pour le moins il ne s’agit pas de stigmatiser ou de chercher une quelconque et trop basique analyse psychologique, mais d’entendre, de se nourrir et d’apprécier ce qui est lu et entendu avec empathie et amour, être à l’écoute. Point commun de nos démarches respectives.
Une photo, un texte dédié au standard choisi par les musiciens. Comme elles et eux, une relecture du thème et recréation, tel un hommage à ce qu’ils nous livrent d’introspection et de jouissance. De la même façon qu’il n’y a pas de schème du standard de jazz qui a évolué durant cent ans, nous n’avons pas fait le choix d’une structure littéraire type. Poèmes, chroniques, articles philosophiques, haïkus, uchronie (se mettre à la place du créateur ou de l’interprète), petit essai littéraire sur le titre et le texte, dialogue entre musiciens, approche sociale de l’enregistrement, sans chercher l’originalité pour l’originalité, nous avons répondu à l’émotion offerte par nos cent musiciennes et musiciens par l’exigence d’une écriture sensible.
Le choix repose d’abord sur un équilibre. Le nombre cent est par lui-même parlant et il n’est pas question « d’élus » car amateurs nous sommes, sans connaissance particulière que le goût immodéré pour cette musique et ses acteurs. Quelques jours passés ensemble à regarder les photos de Patrick Martineau, échanger nos souvenirs, y compris ceux des endroits que nous aimons particulièrement et des festivals, des sympathies aussi qui se sont créées, des performances et des ambiances qui nous ont saisies, des liens qui se sont noués lors d’interviews et de concerts. De cet appétit pour le bon et ce que nous jugeons beau, une sélection s’est imposée quasi naturellement. A y regarder de plus près, âge, sexe, nature de l’instrument, choix des standards, lieux des prises de vue, l’ensemble représente ce qui nous plait et figure le jazz florissant de ce début de vingt et unième siècle. Notre collaboration a été quotidienne et avons testé quelques productions auprès des jazzwomen et jazzmen. Le retour a été enthousiaste pour son originalité et l’investissement que nous avons essayé d’y mettre, pris comme un remerciement pour leur art particulier.
Avec ce travail, au-delà de cette franche amitié d’épicuriens échangeant leurs recettes, nous nous amusons en pensant à ce livre comme le guide « Gault et Milleau » des années soixante-dix qui, sans se soucier des conventions des guides étoilés, offrait une sensibilité de terrain. Ils sont cent. Peut-être, comme cet ancien guide culinaire, vous tenez entre les mains le « Szulc & Martineau » de cette première année de vie 2021. Vive le jazz, sa vie et nos musiciens. musiciens.